Les coups de cœur d’Élizabeth Vlieghe – 2024

DOCUMENTAIRES

La Joconde et les autres, Alice Harmane, illustré par Quentin Blake, Louvre éditions/Flammarion jeunesse, 2023.

Afin que personne ne croie que le Louvre n’héberge qu’une seule star, c’est Monna Lisa elle-même qui, après avoir sacrifié aux présentations, fait découvrir au lecteur trente chefs d’œuvre qu’elle côtoie. Certes, le choix en est forcément subjectif, mais on aurait tort de bouder le plaisir procuré par ces doubles, voire quadruples pages humoristiques, tant grâce aux petits dessins de Quentin Blake qu’aux textes, éducatifs par ailleurs. Les œuvres sont reproduites et légendées à gauche, tandis qu’à droite, sur deux colonnes, le (ou l’un des) personnage, peint ou sculpté, interpelle le lecteur pour lui faire part de ses états d’âme ou lui confier des secrets : tels les époux étrusques1 affirmant qu’ils étaient égaux dans la vie, le petit ange2 confirmant qu’à cette époque beaucoup pensaient que les femmes ne pouvaient pas être des artistes à part entière ou encore ce Pierrot désabusé3 se plaignant d’être un souffre-douleur, que réconforte l’âne du tableau… Il s’agit d’un ouvrage de grande qualité qui fera découvrir l’art, de façon agréable et ludique mais également documentée, en priorité aux jeunes, mais sans doute également aux plus grands. Une présentation du Louvre, dix idées pour regarder une œuvre d’art, une frise chronologique et un glossaire complètent efficacement un documentaire indispensable au sein des CDI.

[1] Sarcophage des époux, 520-510 AV. J.-C, argile peinte. Trouvé à Cerveteri, Italie.
[2] Le rêve du bonheur, 1819, de Constance Mayer Lamartinière.
[3] Pierrot, 1718-1719, de Jean Antoine Watteau.

FICTIONS

Le Citronnier, Ilia Castro, illustré par Barroux, Éditions D’eux, 2023.

Le lecteur ne connaitra jamais le prénom de cette petite fille, symbole de tous les enfants nés dans un pays en guerre, au sein d’une dictature capable des pires exactions. « Elle », « lucide et lumineuse », se réfugie dans le citronnier d’où elle entend les bruits de fusillades, d’où elle voit son père enterrer des livres, où sa mère l’envoie dès que les opposants au régime se réunissent chez eux… Jusqu’au jour où ceux-ci seront à leur tour exécutés. La narration, déjà très poétique, bascule alors dans le merveilleux : les larmes de la petite fille forment une rivière, survolée par de grands oiseaux blancs, emportant tout sur son passage, notamment les corps jetés vivants des hélicoptères, jusqu’à s’apaiser pour augurer d’un avenir plein de promesses. D’origine argentine, l’auteure est une conteuse hors pair n’occultant aucunement les horreurs perpétrées dans son pays ou d’autres, vues par une enfant qui néanmoins garde l’espoir de jours meilleurs. Les illustrations saisissantes de Barroux donnent toute leur puissance fantastique et métaphorique à un texte fort et nécessaire.

La Planète de grand-père, Coralie Saudo, illustré par Marie Lafrance, Éditions D’eux, 2023.

Le titre, et davantage encore la couverture, donnent le ton : de la terre, un petit garçon stupéfait regarde son grand-père juché sur une autre planète ; ce dernier a la tête à l’envers, le nœud papillon de sa chemise contraste avec le bas de pyjama, sans parler du chapeau melon contenant un oiseau, posé en équilibre sur son crâne… Le narrateur imagine que son grand-père vit sur cette autre planète où rien ne tourne rond, car celui-ci agit de façon de plus en plus farfelue, mettant du sel dans son café ou dormant dans la niche de son chien, voire inquiétante quand il offre à son petit-fils un bouquet d’artichauts pour nourrir son zébu en l’appelant Raymond. Déstabilisé, l’enfant se confie à son père qui lui explique que le sac de souvenirs de son grand-père, ex gardien de zoo, est usé, troué : il se vide… Qu’à cela ne tienne, le narrateur fera, lui, provision de souvenirs afin de les restituer à son grand-père. Un album tendre, poétique et métaphorique qui explique en douceur les maladies de la mémoire ; les illustrations au pastel, toutes en rondeur, joyeuses et burlesques, occupent la plus grande partie des pages, magnifiant un texte très accessible, aux sonorités souvent rimées.

Cheval de guerre, Michaël Morpurgo, traduit de l’anglais par Diane Ménard, illustré par Tom Clohosy Cole, Gallimard Jeunesse, 2023.

Adaptation pour les plus jeunes du célèbre roman éponyme de l’auteur (présenté dans le numéro 60 de Recherches, 2014-1). Album aux très belles illustrations dont les couleurs ocres rendent bien compte d’une atmosphère de guerre, avant de retrouver la clarté. À noter : le narrateur n’est plus le cheval ; ses aventures et celles de son ami Albert sont rapportées à la troisième personne.

Nous, Liisa Kallio, Traduit du finlandais par Päivi Ruoste, Les Albums Casterman, 2023.

Malgré des physiques et des caractères différents, nous partageons des expériences universelles. Chacun est unique mais nous sommes tous pareils… L’auteure-illustratrice croque la diversité des humains avec des crayons de toutes les couleurs. Elle livre aux jeunes lecteurs une leçon d’humanité et de tolérance dans un festival de teintes chatoyantes et lumineuses. Une célébration simple, gaie et rythmée, très réussie, de vies si différentes et pourtant si communes.

Le Tout Petit Monsieur et la Très Grande Dame, Claire Renaud, illustré par François Ravard, Folio Cadet, Gallimard, 2022.

Pourtant tous deux pétris de qualités, Marcel et Hélène, 30 ans, souffrent de solitude chacun de leur côté. Comment expliquer que deux êtres, gentils, élégants, généreux, musiciens de surcroit, n’aient pas rencontré l’âme sœur ? La réponse transparait dans le titre évidemment. Même si leurs caractéristiques physiques leur ont souvent procuré des avantages dans la vie courante ou dans le domaine sportif, les surnoms dont on les a affublés (ma puce/ma girafe) durant toute leur enfance ont contribué à développer en eux des complexes irréversibles et la peur de l’autre. Mais un jour chacun est bien décidé à défier le sort : leur profil (un peu édulcoré bien sur…) « matche » sur un site de rencontres. La suite ressemble à un conte de fées empreint d’humour : foin des différences physiques, vive la complémentarité et les gouts partagés ! Une romance émouvante et réjouissante, aux illustrations drôles et touchantes.

Un amour sur mesure, Roland Fuentès, illustré par Alexandra Huard, Album Nathan, 2017.

L’ouvrage précédent m’a rappelé cet album que je n’ai pas eu l’occasion de présenter à l’époque de sa sortie. Seuls et rejetés tous les deux par leurs congénères, Garganton, géant minuscule, et Mimolette, naine géante, se rencontrent par hasard après avoir tenté chacun, en vain, de se faire accepter par la communauté de l’autre. Leur chagrin une fois surmonté, ils comprennent qu’ils peuvent faire abstraction de leur différence et unir leurs destins : il leur faudra juste rejoindre un lieu où ils pourront être eux-mêmes, ni plus ni moins. Abordable dès la maternelle, cette histoire touchante et non dénuée d’humour (et ce, dès le titre), illustrée par des dessins tout simples et très colorés, met en avant les blessures causées par la mise au ban des « a-normaux », ceux qui ne rentrent pas dans les cases, tout en prônant l’acceptation de soi et le dépassement des préjugés, même si c’est au prix d’un exil permettant de trouver le bonheur.

Les Toutrouges et les Toutbleus, Julia Donalson et Axel Scheffler, traduit de l’anglais par Catherine Gibert, « L’heure des histoires », Gallimard Jeunesse, 2023.

Popularisée par la sortie du film en octobre 2023, voici une autre déclinaison de la nécessaire reconnaissance des différences, incitation humoristique à oublier les préjugés et à célébrer l’amour quelles que soient l’origine et la culture. Hautement recommandable.

Histoire de la fille qui ne voulait tuer personne, Jérôme Leroy, Syros, 2023.

2069 : Ada, 17 ans, ne voit que des avantages à vivre dans une société qui a banni la violence, prône l’égalité entre tous et la sobriété écologique. En tant que « pionnière », elle se doit de montrer l’exemple aux autres jeunes. Mais la doctrine consistant à donner la priorité au vivant a été mise à mal lorsque le peuple de la Fédération Européenne a voté le rétablissement de la peine de mort. Ulcérée de ce choix, la présidente Agnès Cœur a donc décidé que chaque exécution, filmée tel un spectacle, serait mise en œuvre par un citoyen tiré au sort ; elle espérait ainsi qu’on y réfléchirait à deux fois avant de prononcer la peine capitale, ce qui ne fut pas le cas ! Le destin d’Ada, majeure depuis un an, bascule lorsque son nom est tiré au sort : en tant que fille de Clara Veen, haute responsable politique française ambitieuse et intraitable, il semble impensable qu’elle se dérobe à son « devoir », à l’instar de cette jeune mère bulgare qui paiera son refus de sa vie. Obsédée en outre par le fait qu’elle a dénoncé son père qui fumait quand elle avait 5 ans, Ada prend alors conscience des travers de cette société engluée dans ses contradictions : sous couvert de protéger sa population après les terribles évènements qui ont décimé la population mondiale (2033-2043), celle-ci est devenue totalitaire, n’hésitant pas à reléguer au « Dehors » nombre de sous-citoyens condamnés à la misère, à la maladie et à la violence… Éprise de Jason Leurtillois, lycéen poète, plus critique qu’elle, Ada peut compter sur lui et ses amis du « gang Nerval », sur le frère d’adoption de son amoureux, Stan Dialo, ainsi que sur Boris, son grand-père maternel : tous vont prendre des risques, voire se sacrifier, pour organiser sa fuite et essayer d’échapper aux policiers lancés à ses trousses par sa propre mère. Ada et Jason réussiront-ils à quitter Rouen, la capitale française, pour rejoindre le Portugal, seul état n’appliquant pas les lois rigides et intraitables de la Fédération Européenne ? Illustrant le proverbe « L’enfer est pavé de bonnes intentions », il s’agit d’un récit d’anticipation bien mené, alternant des points de vue, des lieux et époques différents, d’autant plus effrayant qu’il semble crédible à bien des égards : il devrait alerter et faire réfléchir, tout en captivant.

Galère !, Susie Morgenstern, Éditions Thierry Magnier, 2023.

Le monde s’effondre pour Alex, 15 ans, lorsque Pierre-Louis Charles, son père, est abattu par un déséquilibré. Déjà orphelin de mère (tuée de la même façon…), il doit quitter son Connecticut natal pour s’installer à Paris où vit Louis-Pierre, frère jumeau de son père dont il ignorait l’existence. Les premiers mois sont extrêmement difficiles pour Alexandre : il a laissé derrière lui son meilleur ami Brad, sa copine Mélissa, son chien adoré et ne connait de la langue que le juron favori de son père : « Galère » … À défaut d’affection, son oncle, homme d’affaires riche, très occupé et distant, lui offre un grand confort matériel, mais surtout, heureusement, embauche Gillian, répétitrice de français devenue rapidement une amie et une confidente pour le jeune expatrié. Au fur et à mesure de ses progrès en français, Alex sort de sa morosité et de sa colère pour découvrir ce qui l’entoure, nourrir des amitiés et même tomber amoureux d’une camarade de classe, Héloïse. L’auteure ne résiste pas au plaisir d’égratigner au passage le système scolaire hexagonal qu’Alex trouve insipide et peu chaleureux comparé à ce qu’il connaissait aux États-Unis. Il se fera fort d’ailleurs d’égayer musicalement les mornes journées du lycée avec son nouvel ami Victor, et de confronter certains profs à leur manière d’enseigner. Mais le choc ne sera pas que culturel pour Alex, bien décidé à lever quelques secrets de famille bien gardés : cela lui permettra de comprendre pourquoi son père, normalien brillant, génie des mathématiques et excellent musicien, a coupé radicalement les ponts avec son passé, sa famille et son pays. La lecture de lettres trouvées dans un grenier, les discussions avec son adorable grand-tante Élisabeth vivant à Nice et ses propres recherches le conduiront à la vérité : sans le savoir, son père s’était lié à la mafia, d’où son exil. Comme le remarque le narrateur, ce récit à la première personne commence et se termine par l’évocation d’un enterrement ; pourtant, cet « Américain à Paris » dont Susie Morgenstern pourrait dire à certains égards : « Alex, c’est moi ! », fait preuve d’un bel optimisme et de beaucoup d’humour malgré les épreuves et les menaces, bien décidé à vivre un nouvel avenir plein de promesses.

Nouveautés en matière d’éditions et de collections

GALLIMARD JEUNESSE

« La vie commence en sixième », tome 1, Catarina, Alice Butaud, 2023.

Nouvelle série humoristique mettant en scène cinq amis surnommés « La bande des thons ». Ce premier tome est narré par Catarina qui va « sauver la vie » de ses parents en comprenant le langage de son nouveau petit frère Jonas, tout en n’étant pas insensible au charme d’Azamat, un nouvel élève arrivé d’Afghanistan. Chronique familiale et amicale amusante se déroulant lors d’une première année de collège tant attendue. Idriss (2024), Esther, Ninon et Pablo prendront (sans doute…) le relai pour donner leur point de vue.

FLAMMARION JEUNESSE

« Les Enquêtes de Lya et Mathis » : Mystères dans les rapides, Estelle Vidard, illustré par Benjamin Stickler, Castor Romans, 2023.

Présentée comme « une série d’enquêtes pour découvrir la France à travers son patrimoine », cet opus ainsi que les autres intitulés L’Énigme des graffitis et Disparition sous la neige, met en scène Lya et Mathis vivant dans une famille recomposée. Âgés de 9 ans, ils se retrouvent dans des lieux différents durant les vacances, que ce soit dans les Gorges de l’Ardèche, en Charente-Maritime ou dans la vallée de Chamonix, où ils jouent les détectives amateurs. Lecture facilitée par les nombreux dialogues. Les deuxième et troisième de couvertures à rabats présentent la famille recomposée ainsi que les principaux sites touristiques de la région évoquée.

Sans toujours entrer dans le détail, je signale certains nouveaux titres de séries ou de collections déjà présentées ou évoquées au sein d’autres chroniques.

Chez Gallimard Jeunesse

« Mes premières découvertes » : Robots. Qu’est-ce qu’un androïde ?, Emmanuelle Kecir-Lepetit, illustrations d’Agnès Yvan, et Volcans. Un volcan est-il une montagne ?, Sophie Bordet-Pétillon, illustrations d’Aurélie Verdon, 2023.

Déjà riche d’une quinzaine de titres, cette collection de documentaires animés aborde des thèmes très variés susceptibles de répondre de façon précise et agréable aux questions des 4-7 ans ; petit plus : 40 volets à soulever et des surprises à découvrir…

« Giboulées » : Émile visite le musée, Vincent Cuvelier et Ronan Badel, 2023.

Un nouvel opus désopilant des aventures d’Émile : de quoi voir les musées d’un autre œil… Humour garanti !

 

« Bam ! » : Cinéma. 40 réalisateurs et réalisatrices, David Honnorat et Jérôme Masi, 2023.

De Georges Méliès à Greta Gerwig, l’auteur brosse un panorama de cinéastes qui, de son point de vue, ont marqué l’histoire du cinéma. Même si la parité n’est pas tout à fait respectée, les femmes sont à l’honneur : ouvrage synthétique et intéressant.

Chez Casterman

« Casterminouche » : Moi, j’aime pas comme je suis, Alma Brami et Thierry Manes, 2023.

Malgré les mots rassurants de sa maman, la narratrice n’aime pas du tout son physique. Elle voudrait être belle comme Sonia et rêve de devenir une star. Mais quand elle découvre que Thomas en pince pour elle, elle prend enfin confiance en elle et s’accepte. Accessible dès la maternelle, une histoire aux illustrations toutes douces pour évacuer les complexes, retrouver l’estime de soi et, qui sait, rencontrer un premier « amoureux ».

« Les Petites Lumières » : Le chemin du bonheur, Chiara Pastorini et Annick Masson, 2023.

Marcello n’a pas le moral aujourd’hui. Au cours d’une balade, sa maman lui apprend qu’il faut savoir repérer et cultiver tous les petits bonheurs de la vie.

Chez Syros

Obsessions ; Amnésie, Danièle Thiéry, 2022 ; 2024.

Suite des aventures d’Olympe (cf. Cannibale et L’Ange obscur, présentés en 2022), fille du capitaine Anthony Marin. Avec son amie Salomé, Olympe suit les enseignements de droit à la faculté de Nancy ; toutes deux sont passionnées par les cours de criminologie du professeur Alexis César, mais pas forcément pour les mêmes raisons… Olympe se sent souvent épiée et aperçoit soudain dans l’amphi Rafaël, son amoureux disparu depuis deux ans. Elle le reverra fugacement plusieurs fois, mais ni Salomé, ni la famille Cottin, ni le sergent Johnny Vaillant ne la croient, pas plus que son père absorbé par la traque d’un pervers sévissant entre Épinal et Nancy. Comme à son habitude, Olympe n’en fera qu’à sa tête, s’arrogeant un rôle d’enquêtrice avant l’heure, prête à mentir, à manipuler les autres et à se jeter dans la gueule du loup… Parfois naïve et aveuglée, elle n’en demeure pas moins opiniâtre, contribuant ainsi à faire avancer deux enquêtes qui, fatalement, se rejoindront. Fausses pistes, indices que les plus futés repéreront, secret de famille, suspense, émotion sont au rendez-vous dans un récit s’accélérant vers un final haletant qui ravira les lecteurs adolescents ayant apprécié les deux premiers opus.
La quatrième intrigue ne déroge pas à la règle… Toute la famille d’Olympe a rejoint Bordeaux, Antony Marin ayant été promu commandant. Notre héroïne poursuit son cursus de criminologie et cohabite avec son amie Salomé qui l’a suivie. Selon un scénario bien établi à présent, Olympe se retrouve impliquée dans une nouvelle affaire comportant plusieurs volets qu’elle seule met en relation : une lettre manuscrite à l’orthographe défaillante avouant des meurtres, cachée dans une vieille commode, puis un crime commis devant le dojo où elle s’entraine au karaté dont la victime, un certain Genevoix, fut condamnée quatorze ans auparavant pour des meurtres toujours niés… Elle s’interroge par ailleurs sur le comportement étrange de Lounis, qui ne semble pas apprécier le karaté autant qu’elle. Contrairement à son père obligé de respecter les limites de la légalité, Olympe, toujours aussi fougueuse et culottée, mène à nouveau l’enquête, réussissant à obtenir, en douce, l’aide de Clémence Zeller, la nouvelle adjointe du commandant. La jeune femme se retrouve de nouveau en très mauvaise posture, avant que sa famille, ses amis ainsi qu’Adrien, son amoureux, ne puissent célébrer sa bravoure et ses exceptionnelles qualités d’enquêtrice.

Go fast Go slow ; Sorry Mom, Sylvie Allouche, Syros 2022 ; 2024.

Toujours aussi addictives, voici deux nouvelles enquêtes de « la meilleure flic de France » (dont les trois premières ont été respectivement présentées en 2020 et 2022). Mêlant habilement trois fils narratifs, l’intrigue suit le parcours de Camille, condamnée à 7 ans de prison pour trafic de drogue : Tommy, son amour de jeunesse, est mort lors de leur interpellation et elle a été séparée de sa fille Romy dont elle a accouché en détention. Décidée à se reconstruire à sa sortie, elle est malheureusement rattrapée par son passé et soumise au chantage de l’Indien, trafiquant notoire que l’équipe de Clara poursuit, alors que cette dernière part en urgence rejoindre sa soeur Lisa et sa nièce Lilo à Saint Malo : il semblerait qu’on ait retrouvé Vincent, leur frère et oncle disparu… Aucun temps mort dans ce récit très dialogué mettant en scène des personages attachants et complexes, pour la plupart (exceptés les « méchants ») pétris d’humanité. Bien documentée, sans être didactique, la fiction aborde de multiples problèmes de société tels la vie en prison, le trafic de drogue, mais également toutes les facettes des liens familiaux dans leurs aspects les plus tragiques ou les plus merveilleux.
Le tome suivant ne déroge pas à la règle du puzzle qu’il faudra reconstituer; à son corps défendant, l’équipe de Clara hérite d’une affaire se complexifiant à vue d’œil : qui est cette femme inconnue, battue et jetée nue comme un vulgaire déchet dans la poubelle d’un quartier chaud ? Et ce jeune garcon muet, bien mal en point, découvert au fond d’une cave de ce même quartier ? L’impétueuse et volcanique Clara doit en outre gérer l’arrivée de Lilo, en stage dans son commissariat ainsi que le retour pour deux mois de son amoureux Antoine, parti depuis un an étudier la criminologie à Quantico, sans compter les projets de promotion que son chef Vernon élabore pour elle ! Ce dernier point l’amène à faire la connaisance de Manon Desprats, une journaliste opiniâtre qui veut absolument mettre Alain Malherbes, le ministre de l’intérieur, face à ses responsabilités d’ancien élu. Par ailleurs, Jules, le fils de ce dernier ressent constamment un mal être qui l’amène à se détruire. Les fils se nouent progressivement : Clara décide de faire confiance à Manon qui va les aider dans leurs recherches les menant en Belgique où l’assassinat de l’inconnue trouve ses racines. Lilo, quant à elle, épaulera également cette équipe si soudée dont l’implication sera à nouveau quasiment fatale à un autre de ses membres. Cette fois encore, la famille et l’infinie variété des sentiments qu’elle suscite semble au cœur de l’intrigue : enfants que l’on est obligé d’abandonner, enfants que l’on désire au point d’en devenir criminel, enfants que l’on veut guérir, enfants que l’on veut protéger, enfants maltraités… Les liens à la mère sont finement décortiqués et les lecteurs découvriront avec étonnement l’existence, dans certains pays, des « boites à bébés », variante moderne des tours d’abandon d’autrefois… Intrigue passionnante et prenante.

DES NOUVELLES DES RÉSEAUX DÉJÀ PRÉSENTÉS

EXILS ET MIGRATIONS

Un autre rivage, Chloé Alméras, Gallimard Jeunesse, 2022.

La jeune narratrice, sa sœur Eda et leurs parents, Ouma et Joroun, doivent fuir leur village englouti par les eaux. Commence alors une longue errance dans de frêles esquifs, les maigres repas, l’interdiction d’accoster sur d’autres iles, le naufrage et, enfin, l’accueil par des iliens généreux pratiquant l’hospitalité et la solidarité. Volontairement optimiste, cet album aux illustrations naïves et colorées fait la part belle à l’imaginaire et à la poésie à travers le récit sans pathos de la narratrice, fille d’un couple mixte, qui recommencera une nouvelle vie avec sa famille parmi d’autres terriens, devenus leurs amis. Car, comme le dit l’auteure : « La terre est la maison de tous les hommes. »

Un si petit jouet, Irène Cohen-Janca, mis en images par Brice Postma Uzel, Les éditions des Éléphants, 2022.

Faisant écho à deux autres récits déjà présentés, Comment mettre une baleine dans une valise (2022) et Kissou (2023), ce petit album au format carré met en scène les doctes affirmations d’une petite fille présentant son jouet préféré, sa poupée Léo, prénom court et toute petite taille. Ce n’est qu’après avoir détaillé comment elle joue avec sa poupée, comment elle s’occupe d’elle et à quel point elle l’aime que la narratrice expliquera qu’elle a dû fuir la guerre faisant rage dans son pays en abandonnant son ours blanc Noki, trop grand pour entrer dans sa valise… Alors, mieux vaut prévoir : s’il faut fuir de nouveau, elle pourra emporter Léo avec elle. L’exil et le déracinement sont évoqués avec beaucoup de délicatesse et sans pathos ; finalement, la narratrice se fait une amie, quand elle découvre que Flora possède elle aussi une très petite poupée nommée Pipa, facilement déplaçable et transportable car, ses parents étant séparés, elle passe d’une maison à l’autre. Le texte rédigé à la première personne en capitales d’imprimerie s’insère dans des illustrations pleine page, très colorées (rouge, vert, bleu nuit) composées, entre autres, de silhouettes disproportionnées, vues de profil.

TERRORISME

Le Jour où tout a basculé, Julie Buxbaum, traduit de l’anglais (États-Unis) par Benjamin Kuntzer, PKJ, 2022.

Ce jour là, le 11 septembre 2001, Abbi Hope Goldstein fêtait son premier anniversaire à la crèche du World Trade Center. La photo de son sauvetage par Connie Kramer a fait le tour du monde : on l’a surnommée « Baby Hope », symbole qui lui pèse et auquel elle refuse de s’identifier. Ses parents, des survivants eux aussi, sont séparés mais habitent dans la même rue pour mieux la couver… Craignant d’être atteinte du « syndrome du WTC », Abbi leur cache sa toux sèche et les saignements qui l’affectent, préfèrant se réjouir de pouvoir encadrer de jeunes enfants en camp de vacances. Elle y fait la connaissance de Noah Stern, un peu plus jeune qu’elle, obsédé par son père porté disparu, puis déclaré mort suite à l’attentat. Il croit le reconnaitre sur la fameuse photo et décide, sous couvert d’écrire des articles pour le journal du lycée, de rencontrer toutes les personnes qui figurent dessus, car il veut croire que son père est peut être encore vivant. Il sollicite l’aide d’Abbi ; très réticente au début, elle finit par accepter de l’accompagner chez les survivant·e·s. Car de nombreuses personnes, dont Connie, sont mortes suite à l’inhalation des gaz toxiques ayant saturé l’air après les explosions. Ce sera pour les deux protagonistes l’occasion de mieux comprendre leur histoire, ce qui les a façonnés et de regarder l’avenir plus sereinement. Alternant le point de vue à la première personne d’Abbi et de Noah, l’auteure réussit non seulement à rendre compte de leurs questionnements et émotions ainsi que de leur évolution, mais également à faire vivre tous ceux qui les entourent, parents, amis ; et surtout, à donner la parole aux survivant·e·s de la tragédie pour lesquels il y aura toujours un Avant et un Après. Un récit sensible et optimiste sans pathos.

CLONAGE/MANIPULATIONS GÉNÉTIQUES ; SOCIÉTÉS TOTALITAIRES

Méto Zone noire, Yves Grevet, Syros, 2022.

La célèbre trilogie de l’auteur (cf. Printemps-été 2018, Méto : La Maison, L’Ile, Le Monde, 2018) trouve ici une suite, même si l’éditeur affirme que cet opus peut se lire séparément. Simultanément paraissent chez Glénat trois bandes dessinées, dont l’action se déroule à la même époque que celle de la trilogie ; elles mettent en scène des personnages secondaires du roman qui jouent cependant un rôle important auprès de Méto et de ses amis : Nestorius, monstre-soldat, Ursina, espionne et Joe, enfant abandonné par ses parents. Âgé à présent de 17 ans, Méto a négocié de vivre libre sur l’ile d’Hélios avec ceux qu’il a délivrés des Maisons, contre la promesse de ne pas répandre la révolte sur le continent. Mais il est contraint de pénétrer dans la Zone noire, contaminée depuis la troisième guerre mondiale, afin d’y livrer une rançon suite à l’enlèvement de sa jeune sœur. Commence alors une aventure haletante, narrée à la première personne par le héros, heureusement soutenu par ses amis, son amoureuse Caelina ainsi que des opposants au régime totalitaire, les Chiendents. Il leur faudra à tous beaucoup d’astuce et de courage pour délivrer les enfants de cette dernière Maison, faire éclater la vérité et renverser la dictature en place.

RÉÉDITIONS OU PARUTIONS AU FORMAT DE POCHE DE TITRES DÉJÀ ÉVOQUÉS (ou pas, d’ailleurs…)

Aux éditions Flammarion Jeunesse

Le Meilleur Loup de l’année, Géraldine Maincent et Roland Garrigue, Père Castor, 2023.

Afin de déterminer qui remportera le prix du plus méchant/affreux/terrible loup, tous ceux qui parsèment les contes les plus connus se rassemblent lors d’un festival. Humour et surprises garantis : les loups ne sont plus forcément ce qu’ils étaient…

Les Trois Mousquetaires, Alexandre Dumas, abrégé par Michel Laporte, Castor Poche, 2023.

Aux éditions Gallimard Jeunesse

Capitaine Rosalie, Timothée de Fombelle, Folio Cadet, 2023.

Présenté dans « Actualités Printemps-Été 2019 », réseau « La Grande Guerre, 1914-1918 ».

Soutif, Susie Morgenstern, illustrations de Catel Muller, Folio Junior, 2023.

Pauline, 13 ans, vit très mal l’arrivée de ses « deux bébés montagnes » ; il faut envisager l’achat d’un « soutif », mais elle se voit mal en parler à ses parents (deux avocats débordés et bohêmes) ou à ses trois frères ; en outre, inutile de compter sur sa grand-mère qui a brûlé le sien en 68 ! Suite au vol de plusieurs soutifs, elle est contrainte de s’occuper de Pénélope, la nièce « en perdition » du vigile qui l’a « arrêtée ». Cette belle astuce de scénario entrainera la rencontre de deux jeunes filles issues de milieux sociaux très différents, qui apprendront à se connaitre et s’apprécieront. On reconnait là l’optimisme indéfectible de l’auteure qui prête à sa narratrice beaucoup d’humour et de maturité. Et offre en prime aux lecteurs, un panorama tout ce qu’il y a de plus sérieux et documenté de l’histoire du soutien-gorge, sujet choisi par l’héroïne pour un exposé que son professeur lui demandera de lire devant toute la classe ! Un court récit qui devrait parler aux jeunes.

Victoria rêve, Timothée de Fombelle, Folio Junior, 2024

Présenté dans le numéro 63, 2015, réseau « Rêve ou cauchemar »

Les secrets de Dumbledore, Texte du film, J. K Rowling et Steve Kloves, traduit par Linda Bruno et Laetitia Devaux, Folio Junior, 2024.

Dernier opus de la trilogie Les animaux fantastiques.

L’âge du fond des verres, Claire Castillon, Folio Junior, 2023.

Présenté dans « Actualités 2022 »

La peau de chagrin, Honoré de Balzac, Texte abrégé par Patricia Arrou-Vignod, Notes et carnet de lecture par Philippe Delpeuch, Folio Junior, Textes classiques, 2023.

« Les enfants des Otori » : Les guerriers orphelins (2023) et La révolte invisible (2024), Lian Hearn, traduit par Philippe Giraudon, Pôle fiction. Également publié en Folio.

Tous ceux qui ont adoré les cinq tomes du Clan des Otori et les quatre de Shikanoko (présentés dans Actualités 2022) ne bouderont pas leur plaisir face à cette suite directe de la première saga.

 

 

Je ne voudrais pas terminer cette chronique sans évoquer l’ouvrage de Clémentine Beauvais :

 Écrire comme une abeille. La littérature jeunesse, de la lecture à l’écriture, Gallimard Jeunesse, 2023.

Rédigé très sérieusement mais avec beaucoup d’humour, par une spécialiste en la matière (auteure, enseignante universitaire, animatrice d’ateliers), cet ouvrage constitue une somme sur le sujet. Il intéressera toutes celles [1] (y compris les messieurs) que la littérature de jeunesse passionne, que ce soit pour la lire ou pour l’écrire. Dix chapitres pour tout savoir sur le sujet, et plus encore… Qu’elles les lisent de façon chronologique et exhaustive ou en butinant, toutes y trouveront leur miel !
[1] Partant du principe que les femmes, quelle que soit leur profession ou activité, sont majoritaires dans le domaine de la littérature de jeunesse, l’auteure a décidé d’employer le féminin générique, je l’imite !