Les coups de cœur d’Élizabeth Vlieghe – Automne-hiver 2015

« Coups de cœur » DOCUMENTAIRES

Adama ou la vie en 3 D, Du Mali à Saint-Denis de Valentine Goby, illustrations d’O. Tallec. Français d’ailleurs, Casterman, 2015. (Format poche).

Même si cette fiction-documentaire située en 1988, a été rédigée il y a quelques années déjà, elle n’en reste pas moins d’une actualité brulante. Adama commence à s’interroger sur sa culture d’origine lorsque qu’un musicien malien ami, Ibrahima, est arrêté par la police pour être expulsé. Né en France, vivant dans la cité Louise Michel à Saint-Denis, ce collégien passionné de musique se demande alors pourquoi tant de Maliens quittent leur pays pour venir s’entasser en banlieue parisienne. Très impliqué dans les actions associatives, y compris à Kayes, sa ville d’origine, son père lui propose de l’accompagner pour l’inauguration d’une école qu’il a contribué à financer. Ce sera l’occasion pour Adama de découvrir ses racines, de mieux se connaitre et de comprendre les motivations des candidats à l’immigration. Dossier, réactualisé, en fin d’ouvrage.

Petites histoires de mots venus du grec de Brigitte Heller, Flammarion jeunesse, 2015.

Pour tout savoir sur l’origine de mots connus (ou moins…) derrière lesquels se cachent des aventures fabuleuses ou des personnages mythiques. De « Atlas » à « Zodiaque », sous forme d’abécédaire, un ouvrage très pédagogique, à petit prix.

Vivre ensemble : 25 questions autour de la citoyenneté de Nicolas Rousseau, Premiers Castor Doc, Flammarion, 2015.

C’est quoi une république ? Un enfant a-t-il des droits ? C’est quoi la laïcité ? Pourquoi s’attaque-t-on aux religions ? Hommes et femmes sont-ils égaux ? Voilà quelques exemples parmi les vingt-cinq questions, organisées en cinq chapitres, reprenant celles que les enfants posent souvent, sans qu’il soit parfois très facile de leur répondre clairement et simplement. Chaque notion fait l’objet d’une double page, certes succincte, puisqu’on s’adresse à des enfants du primaire, mais visant l’essentiel et incitant au débat.

« Coups de cœur » ACTUALITÉ

Les sœurs Ramdam de Françoise de Guibert, illustrations de R. Badel, album, Thierry Magnier, 2015.

Ne charme pas les oreilles du public de Quietcity qui veut ! Thelma et Louise, les sœurs Ramdam l’apprennent à leurs dépens : personne ne supporte les notes émises par le violon et la flute des demoiselles, pas plus leurs parents qui les chassent de la cabane en rondins ou l’institutrice qui préfère passer d’urgence aux mathématiques, que les nouveaux colons qu’elles font fuir et leur « ramdam » indispose même les prédateurs du coin, humains ou animaux… Mais le facétieux Oumpapoose pense se mettre en valeur en les capturant. C’est oublier le « talent musical » des deux visages pâles que leurs ravisseurs auront bien de la peine à supporter ! Troisième opus (après Billy le môme en 2011 et Oumpapoose cherche la bagarre en 2013) d’une série humoristique autour du Far-West destinée aux plus jeunes, à laquelle les dessins couleur sépia confèrent charme et drôlerie.

La tête ne sert pas qu’à retenir les cheveux de Sabine Panet et Pauline Penot, Thierry Magnier, 2015.

Les deux auteures ont renouvelé leur complicité créatrice pour donner une suite aux aventures de la famille Bocoum (cf. Le cœur n’est pas un genou que l’on peut plier, 2012, présenté dans le numéro 59 de Recherches, p. 186). Ce deuxième tome débute au Sénégal où toute la famille (sauf Awa dont je rappelle qu’elle a échappé de peu à un mariage forcé) s’est rendue pour les vacances, occasion pour tous de se confronter aux traditions. Sur les conseils de Flore, la mère d’Agathe, Awa se rend au planning familial en raison de douleurs récurrentes. Elle découvre avec stupeur et colère qu’elle a été excisée. Persuadée que pour Ernestine, il est déjà trop tard, elle met tout en œuvre pour éviter cette mutilation à sa petite sœur Amayel, avec l’aide de la gynécologue Esther Fellmann et de son collègue de la PMI François Cabano. Elle se confie de nouveau à sa tante Dado, laquelle file le parfait amour avec Marcel Mérindol, sans imaginer à quel point les parents de son amoureux sont racistes. De son côté, Ernestine, toujours habitée par sa vocation d’actrice, court les castings mais se heurte aux préjugés des cinéastes quant aux rôles qui lui conviendraient. Enfin, Aminata s’épanouit dans une activité de confection de repas exotiques qui pourrait bien se développer. Mais tout se précipite lorsque la grand-mère Nawdé débarque en France pour une opération.
Même si les romancières distillent de nouveau optimisme et humour, le sujet ne peut se traiter avec la même légèreté que le précédent, d’où, je pense, un mélange de ton par rapport au premier tome ; confrontée à une découverte qui la bouleverse, Awa se révolte et, n’osant aborder de front le sujet avec sa mère, s’en prend à Dado. Épaulée par des adultes extérieurs à la famille, elle est prête à collaborer avec la police pour démanteler le réseau des « exciseuses maliennes ». Elle va néanmoins s’apercevoir que les choses sont plus compliquées qu’elle ne l’imaginait ; ayant subi le poids des traditions, Nawdé, Aminata et Dado ont accompli une révolution silencieuse : Awa ne doit cette mutilation qu’à son statut d’ainée. C’est ce que lui expliquera sa mère dans une très belle scène qui restitue son histoire à sa fille. Le grand mérite de ce livre est d’aborder sans fard un problème difficile et douloureux lié à la culture et aux traditions d’un peuple, qu’il serait ridicule de juger et condamner sans essayer au moins d’en comprendre les fondements, même s’il n’est pas question d’approuver ni de laisser faire. On notera d’ailleurs que si la culture africaine recontextualisée est au centre de l’intrigue, la religion et la culture juives sont également passées au crible à travers les personnages de Jacob qui se demande bien pourquoi il ferait sa Bar-Mitsva alors qu’il n’est pas croyant, du rabbin Daniel Libermann sidéré par la maturité de cet adolescent de 13 ans dont il accueille les interrogations avec bienveillance, ou le réalisateur Arié Zélikine remaniant son scénario pour pouvoir proposer un rôle à Ernestine. Et, clin d’œil final, c’est à Khalidou, singulièrement absent de toutes les péripéties qui ont précédé, qu’il appartiendra d’annoncer cette bonne nouvelle à la future comédienne…

Douze ans, sept mois et onze jours de Lorris Murail, Pocket Jeunesse, PKJ, 2015.

Vous voulez endurcir votre empoté de fils, nul au baseball ? Faites comme Jack Stephenson : allez le conduire dans une forêt du Maine et abandonnez-le dans une cabane, non sans lui avoir laissé une carabine, une batte de baseball, des allumettes, quelques conserves, deux « manuels » de survie et un pigeon voyageur… Puis recommandez-lui de ne pas quitter un périmètre précis. Walden, douze ans sept mois et trois jours, déjà abandonné par sa mère partie au Pérou, croit tout d’abord que son père lui fait une mauvaise blague, qu’il est resté à proximité pour l’observer mais doit se rendre à l’évidence : il est seul et va devoir se débrouiller ! Certes naïf et peu sportif, le jeune garçon est cependant intelligent, logique, et malgré une grande incompréhension face à l’attitude de son père, il cherche à se montrer digne de son amour et organise sa survie ; contre toute attente, l’adolescent n’est pas aussi seul qu’il pourrait le croire. Toute la première partie du roman est focalisée sur le jeune robinson, soutenu par la lecture et l’utilisation des deux romans de Thoreau laissés par son père. Le lecteur pense ainsi qu’il s’agit d’un roman initiatique : un père peu sympathique uniquement passionné de sport et de voitures (il possède une Chevrolet Impala SS 1995 rouge cerise à laquelle il tient énormément) tente de faire de son fils un homme. Mais ce que le prologue laissait deviner se confirme durant la deuxième partie centrée sur Jack qui, détenant un lourd secret, n’a pas forcément fait preuve de clairvoyance par rapport à son fils. Le rythme s’accélère et le suspense change de dimension. Des clins d’œil en direction de Stephen King, un final digne d’un film d’action, une réflexion sur les rapports intergénérationnels et les rapports humains, des passages sombres et violents, même si l’auteur termine sur une note humoristique, font de ce récit un livre surprenant.

Afterworlds de Scott Westerfeld, traduit de l’anglais (États-Unis) par G. Fournier, Pocket Jeunesse PKJ, 2015.

L’auteur, déjà évoqué à propos des réseaux « Dictature de la beauté » et « Filles déguisées en garçons », livre cette fois-ci un ouvrage original du style « deux en un ». En effet, grâce à une subtile mise en abyme, le romancier alterne deux récits, tous deux fictifs bien sûr, mais dont l’un est censé être la réécriture du roman qu’une jeune lycéenne de 17 ans va bientôt publier. Chaque chapitre alterne donc le « conte de fée » vécu par Darcy Patel, d’origine indienne, qui arrive éblouie à New York, et le cauchemar de l’héroïne de son livre, Lizzie, seule survivante d’une tuerie qui s’est déroulée à l’aéroport de Dallas. Grâce à un basculement dans « l’envers du décor », sorte d’expérience de mort imminente, elle échappe à la tuerie et rencontre Yamaraj, un jeune homme vieux de plusieurs milliers d’années : comme elle en a fait elle aussi l’expérience, il est passé volontairement du côté des morts afin de les protéger car ces fantômes « survivent » grâce aux souvenirs des vivants. Nous suivons donc deux histoires en parallèle, sachant qu’elles ont des liens dans la mesure où Darcy s’interroge constamment sur ce qu’est l’écriture, le talent, et connait les affres de la page blanche : elle a rédigé son roman en à peine un mois et son éditrice lui offre un pont d’or pour sa publication ainsi que celle d’une suite, mais lui demande des remaniements notamment concernant la fin. Outre l’évolution psychologique de Darcy qui quitte sa famille et tombe amoureuse d’une autre écrivaine, Imogen Grey, c’est l’univers du petit monde newyorkais de l’édition qui retiendra l’attention : nul doute que l’auteur, qui le connait bien, n’y ait mis une certaine ironie, reste à savoir si elle sera perçue par tous les lecteurs. Il s’agit donc d’une réflexion intéressante sur l’inspiration et la manière dont les écrivains recomposent la réalité, s’inspirent d’elle, de leur vécu pour écrire : entre Darcy puisant dans la culture religieuse hindoue ou dans ce qu’elle croit être le passé de sa mère, piquant des idées de scène à sa copine ou recyclant ses lectures (on écrit toujours sur du déjà écrit) et Imogen prenant des notes sur tout ce qu’elle voit, entend, collectionnant des tas d’objets ou de noms qui pourraient servir, mettant en scène des éléments de son passé ou se faisant enfermer dans un coffre de voiture pour mieux écrire la première scène de son roman, l’auteur, mine de rien, livre quelques secrets au lecteur : celui-ci en verra l’application directe ou recomposée dans la prose de Darcy, voire celle d’Imogen dont il nous livre également le début de la trilogie. De nombreux personnages secondaires, famille et amis de Darcy mais également éditeurs, critiques, écrivains confirmés ou débutants donnent de l’épaisseur au récit matriciel ; du côté du roman de l’héroïne qui se réécrit sous nos yeux, on retiendra l’aspect fantastique lié au statut particulier de Lizzie et de Yama, leur attirance mutuelle, la présence des fantômes, le passage d’un monde à un autre, la détermination de l’héroïne à supprimer un tueur en série, ses relations avec ses parents, divorcés, bref les ingrédients habituels de la « young littérature ». L’auteur se paie même le luxe de faire critiquer par Lizzie (personnage de Darcy auteure) le terme de « psychopompe » qui désigne son pouvoir, le trouvant laid alors que l’auteure en est très satisfaite ; elle en trouvera d’ailleurs un autre « brillants » proposé par un autre personnage, jugé bien meilleur ! On se saurait mieux illustrer, je pense, le processus de mise en abyme.

#scandale de Sarah Ockler. Traduit de l’anglais (États-Unis) par A. Guitton. Nathan. 2015.

La narratrice, ado atypique de 17 ans qui préfère dégommer les zombies plutôt que de se pomponner, accepte d’accompagner le petit copain de sa meilleure amie au bal du lycée. Secrètement amoureuse de Cole depuis quatre ans, Lucy l’embrasse et dort dans le même lit que lui. Mais ces scènes, ainsi que d’autres qui compromettent tous leurs amis, sont photographiées à leur insu avec le téléphone, volé, de la jeune fille, puis publiées sur son compte Facebook. Commence alors pour celle-ci un long calvaire : tout le lycée la déteste, Ellie ne lui parle plus, et une page « Bad Lucy » est créée. Même si elle se reproche d’avoir mal agi en écoutant ses sentiments, Lucy se sait innocente des méfaits dont on l’accuse et ne sait comment prouver sa bonne foi. Aidée de quelques élèves, elle mène l’enquête pour découvrir la vérité.
Même si le style ne m’a pas enthousiasmée, ce récit me semble intéressant par le sujet qu’il aborde, à savoir l’impact des réseaux sociaux sur les adolescents et les dérives inévitables. Traité sur le mode de l’humour et de la comédie, l’intrigue n’échappe pas à la caricature parfois : la grande sœur star, la principale Madame Zeff qui surfe sur sa page Facebook devant Lucy, l’attitude du groupe « anti nouvelles technologies » baptisé S@tan… En revanche, les interventions de Lady Blabla m’ont beaucoup plu, leur ton est plaisant, juste et, quand on sait qui se cache derrière le personnage, l’histoire prend tout son sens. Mais l’auteure n’exploite pas tous les aspects de son intrigue et m’a donné l’impression d’hésiter entre plusieurs tons, d’où mon malaise sans doute.

Nouveautés en matière d’édition et de collections

Folio Junior en VO

Gallimard Jeunesse lance les « Folio Junior en VO » qui proposent des textes courts et accessibles, en version originale, à destination des collégiens et lycéens. Des notes au fil du texte traduisent les mots difficiles ; l’auteur ainsi que thème abordé sont présentés à la fin de l’ouvrage.

Citons par exemple :

Lamb to the slaughter and other stories de Roal Dahl, Folio Junior Version Originale, 2015.

Ce recueil comprend quatre nouvelles, dont deux au moins ont déjà été largement exploitées par les pédagogues : Coup de gigot qui lui donne son titre, déjà traduite chez Folio Junior, est publiée chez Folio (Bizarre ! Bizarre ! 1962). Les trois autres, The way up to heaven, William and Mary ainsi que The Landlady (vous savez, cette adorable logeuse…) se trouvent dans un autre recueil de chez Folio Gallimard, ayant pour titre Kiss Kiss (1962).

The Mozart question de Michael Morpurgo, illustré par M. Foreman, Folio Junior Version Originale, 2015.

Plus jamais Mozart, déjà publié sous forme d’album junior, narre l’histoire du violoniste Paolo Lévi avec lequel Lesley, journaliste débutant, s’entretient à Venise. Le musicien, hanté par son passé, finira par s’en libérer en livrant l’histoire douloureuse vécue par ses parents dans les camps d’extermination.

Des parutions au format poche de titres déjà évoqués (ou pas, d’ailleurs…) ainsi que des rééditions comportant des modifications

L’histoire de Malala (cf. n° 61) ; Vango, Timothée de Fombelle, Folio Junior, Gallimard, 2015.

Ici et maintenant, A. Brasharès ; Le château de Cassandra, Dodie Smith (cf. n° 46) ; Animale : La malédiction de Boucle d’or, Victor Dixen ; Cœurs brisés, têtes coupées, R. Schneider, Pôle Fiction, Gallimard, 2015.

Le journal d’une déesse, T. Buongiorno, Flammarion Jeunesse, 2015. Accompagné d’un cahier spécial (jeux et exercices + corrigés) pour aller plus loin.

Des nouvelles des réseaux déjà présentés

Fille déguisée en garçon

Deux sœurs un destin : La Trahison et Le Guet-apens de Maya Snow, traduit de l’anglais par Alice Marchand, Flammarion Jeunesse, 2014.

Réédition au format poche, chez le même éditeur, d’une tétralogie intitulée Les Filles du Samouraï (2009). Pour échapper à leur oncle Hidehira qui vient d’assassiner leur père et leurs deux frères, Kimi et Hana, filles du Jito Yoshijiro (gouverneur de province) se déguisent en garçons et se cachent dans le dojo dirigé par le célèbre Maitre Goku où sont formés les futurs samouraïs. Bien résolues à venger l’honneur de leur famille, elles y perfectionnent l’art du combat tout en cherchant à retrouver leur mère et leur petit frère, Moriyasu, qui ont disparu lors du massacre de la maisonnée Yamamoto. Obligées de se déguiser et d’oublier leur condition privilégiée, les deux jeunes filles, aidées de leur ami Tatsuya, devront faire preuve de beaucoup de courage et d’astuce, au cours de nombreuses pérégrinations et de maints combats, avant d’espérer ranger leur épée…

Racontées au présent et à la première personne par Kimi, alias Kagenashi, les aventures trépidantes et bien documentées des deux sœurs, se déroulant dans le Japon féodal du 13e siècle, raviront les amateurs de combats martiaux et de culture nipponne. Deux jeunes filles de bonne famille, éduquées dans la tradition et destinées à servir le thé mais qu’un père avisé avait néanmoins initiées au combat, réalisent ainsi, dans l’adversité, contraintes et forcées, un rêve qu’elles pensaient inaccessible vu leur sexe.

Chine

Contes et légendes de Chine de Janine Hiu, illustrations de Boll, Nathan, 2015.

On ne présente plus cette collection (dont les couvertures sont illustrées par François Roca depuis plusieurs années) qui, comme son intitulé l’indique, fait la part belle aux récits issus de maintes cultures, civilisations, régions du monde entier. Parmi les milliers d’histoires liées à une civilisation millénaire, l’auteure en a sélectionné et adapté 14 représentatives à ses yeux de la diversité d’une culture encore largement méconnue des occidentaux. Qu’il s’agisse de récits fondateurs (rôle du géant Pan Gu dans la création du monde ou de la déesse Nü Wa dans celle des hommes), de contes étiologiques (explications de l’origine de la soie ou du calendrier chinois), d’histoires d’amour fou et a priori impossibles entre des êtres de nature différente, inquiétantes voire surnaturelles (peinture qui s’anime) ou humoristiques (un crapaud tenant en respect un tigre), sans oublier celles qui mettent en scène le dragon, animal fabuleux si important dans la culture chinoise, tous ces contes contribueront sans aucun doute à donner l’envie d’approfondir la connaissance d’un folklore riche et foisonnant.

Le Tangram magique : L’Énigme des pivoines, L’Énigme du pékinois, L’Énigme du sceau de jade et L’Énigme du perroquet bleu, de Florence Lamy, illustrations d’A. Laprun, Casterman, 2014-2015.

Ces quatre aventures de la jeune Li-Na se déroulent dans la chine ancienne. La première débute lorsque la jeune orpheline recueillie et élevée par Grand-mère Dong reçoit pour ses dix ans un tangram de la part de l’apothicaire M. Zhou ; elle découvre alors les pouvoirs magiques du carré d’ébène. Grâce à celui-ci et à son ami Cheng, le vendeur de thé, elle réussira à retrouver le tableau dérobé à Madame Lo.

Rédigée au présent et mettant en scène certains personnages récurrents dont l’héroïne et son ami, chaque histoire, facile à lire, tend vers la résolution d’une énigme, tout en mettant en valeur différentes facettes de la vie chinoise de l’époque. Il s’agit également d’une quête initiatique car, comme elle l’indique à la fin du premier opus, Li-Na espère que l’objet magique l’aidera à retrouver ses parents. Chaque ouvrage offre un tangram magnétique de couleur différente qui permet de réaliser les figures évoquées dans l’intrigue, dont les solutions sont données à la fin.

Enfant-espion

La Rançon (Bodyguard, tome 2) de Chris Bradford, traduit de l’anglais par Chloé Petit. Casterman, 2015.

Après avoir protégé et sauvé la fille du président américain, Connor Reeves, remis de ses blessures, a retrouvé son unité secrète, ses amis ainsi que l’entrainement. Même s’il est persuadé n’avoir dû ses exploits qu’à la chance, Connor est de nouveau choisi pour accomplir une autre mission, avec une partenaire cette fois-ci : la redoutable Ling, championne d’arts martiaux et teigneuse à souhait. Les deux adolescents sont chargés de protéger Emily et Chloé, deux jumelles, filles du milliardaire australien Maddox Sterling, à la tête d’un empire médiatique. Emily ayant déjà été enlevée, celui-ci ne veut prendre aucun risque lors de leurs vacances aux Maldives à bord d’un luxueux yacht. Commencée sous les meilleurs auspices, la croisière vire au drame lorsque des pirates attaquent le bateau, font des victimes et prennent les jeunes filles ainsi que leur future belle-mère en otage. Ils exigent une rançon exorbitante, que Sterling rechigne à payer ! Mais là n’est pas le problème car derrière les pirates se cache un mystérieux commanditaire bien plus dangereux qu’eux ; l’organisation occulte Equilibrium et son exécuteur de basses œuvres, M. Grey, ne reculent devant rien en effet pour atteindre leurs objectifs. Une fois encore, Connor, resté seul après le renvoi de Ling, devra déployer force, courage et ruse pour protéger les jumelles, pas toujours coopératives, pourtant menacées de plusieurs côtés à la fois. Nombreux rebondissements et retournements de situation.

Grande guerre

Le mystère de Lucy Lost de Michael Morpurgo, traduit de l’anglais par D. Ménard, Gallimard Jeunesse, 2015.

Les opinions pacifistes de l’auteur sont connues et voici une nouvelle occasion pour lui de les affirmer. En mai 2015, Alfie et son père Jim vont pêcher le maquereau près de St Helen’s, un ilot inhabité de l’archipel des Scilly où ils vivent : ils y découvrent une jeune fille d’une douzaine d’années, blessée, à moitié morte de faim et de soif. Celle qui sera baptisée « Lucy Lost » partage dès lors la vie de la famille Weathcraft qui prend soin d’elle tout en essayant de découvrir qui elle est, d’où elle vient. Amnésique et muette, Lucy retrouve petit à petit le gout de vivre grâce à leur amour et à l’acharnement de Mary qui la considère comme sa fille, tandis qu’Alfie et elle deviennent de plus en plus proches. Elle se laisse ainsi progressivement apprivoiser par le phonographe, le piano dont elle joue, Peg la jument qu’elle chevauche puis accepte finalement de fréquenter l’école… Le docteur Crow et l’institutrice Mlle Nightingale veillent également sur elle, notamment quand elle est aux prises avec l’horrible instituteur Beagley ou avec la population bientôt persuadée, au vu de quelques indices, qu’elle est allemande. En effet la guerre et son lot d’atrocités, telles les soldats tués ou mutilés à l’instar du jeune Jack Brody, le naufrage du Lusitania et ses milliers de morts, avivent les rancœurs et la méfiance chez des habitants pourtant réputés ouverts et généreux : ils l’ont en effet prouvé en 1875 en sauvant les marins allemands du « Schiller » et plus récemment les naufragés du Lusitania et le prouveront encore en se mobilisant pour rechercher Billy, l’oncle d’Alfie parti sur son bateau, même si tous le trouvent « bizarre ». L’auteur marie, comme souvent il aime à le faire, les points de vue en alternant les récits : encadrement de l’histoire par l’intervention (« Pour commencer » et « Pour finir ») d’un narrateur à la première personne censé être le petit fils de « Lucy » (à ne pas confondre avec l’auteur !), récit principal à la troisième personne, entrecoupé de celui à la première personne de la jeune américaine Merry embarquant avec sa mère sur le Lustania afin de retrouver son père blessé et hospitalisé près de Londres et qui luttera avec courage pour sa survie ; d’autres passages à la première personne : extraits du journal du docteur Crow, extraits du registre scolaire de M. Beagley et enregistrement de la grand-mère du narrateur à New York, viennent compléter l’intrigue qui pourrait donc ainsi figurer également dans un réseau « Narration complexe ». L’histoire de l’héroïne se présente ainsi comme un puzzle que le lecteur reconstitue plus vite que les personnages, le suspense résidant davantage dans la tournure que vont prendre les événements : Lucy va-t-elle retrouver la mémoire, va-t-on l’épargner ? En bon magicien, l’auteur va jeter des Allemands naufragés, sauvés par Billy, sur les rives des Scilly dont l’un, Wilhelm Kreuz, appartient à l’équipage du U-boot qui a repêché Merry avant de la déposer sur St Helen’s. Le choc fait retrouver la parole et la mémoire à la jeune fille qui peut enfin remercier Wilhelm et raconter son histoire. Grâce aux recherches du docteur Crow, elle retrouve son père, qui, tout comme Alfie, survivra à la guerre. Elle reste tout d’abord à Bryher afin d’épouser Alfie mais ils finiront par rejoindre New York.
Il s’agit donc d’un récit émouvant, basé sur des faits historiques ; même si la guerre n’est pas au centre, c’est elle qui entraine les personnages dans la tourmente et modifie leur destin. Même si elle contraint les hommes à se battre et à se haïr, leur compassion et leur humanité prend parfois le pas sur leur « devoir ». Comme toujours l’auteur s’est documenté et quelques précisions sont données en fin d’ouvrage, notamment sur le naufrage du Lusitania et le dévouement des habitants de Kinsale tentant de porter secours aux survivants : les sauveteurs auraient aperçu le piano du paquebot sur lequel était allongée une petite fille. Il n’en fallait pas plus au romancier pour reconstituer le destin de cette fillette.